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  L'Histoire de Marianne 


De la Liberté à la République Française

En France l'utilisation comme symbole de la Liberté puis de la République d'une femme vêtue à l'antique portant un bonnet phrygien trouve son origine au XVIIIe siècle. A l'époque l'antiquité romaine et ses supposées vertus civiques et morales est très en vogue. Quand la Révolution de 1789 éclate, c'est tout naturellement que la déesse de la Liberté accompagnant au combat le peuple sera prise comme emblème. Cette déesse de la Liberté porte sur une pique, avant de le coiffer, le bonnet phrygien, évoquant à l'époque les bonnets rouges que portaient les esclaves affranchis dans l'antiquité. 
Marianne, nouveau symbole de la liberté conquise par la Révolution prendra très vite la place du roi déchu sur les pièces de monnaie et autres supports officiels. Effigie de remplacement, elle deviendra très vite la double représentation de la République-Liberté. Marianne incarnant ainsi un régime associé à l'une de ses vertus les plus fondamentales : la liberté ! A cette double signification s'ajoutera celle du territoire : la France. Il est à souligner que l'allégorie de la France sous l'ancien régime existait déjà depuis longtemps sous la forme d'une femme en armure et casquée à l'instar de Minerve avec qui on peut la confondre. 
Marianne, qui n'a pas encore ce surnom familier, incarnera donc la Liberté-République-France et nous verrons par la suite, sous la monarchie ou l'Empire que ce triple ancrage est important Marianne-Liberté survivra dans l'opposition et accompagnera les républicains jusqu'au retour de la République en France ! Il est intéressant de souligner que de nos jours, l'une des plus emblématiques représentations de Marianne, à savoir le tableau de Delacroix : la Liberté guidant le peuple qui évoque les journées de 1830 date de la monarchie de Juillet sous le règne de Louis Philippe duc d'Orléans roi des français qui succède à son cousin Charles X.
Parmi les représentations les plus précoces de Marianne sous la Révolution notons la très belle monnaie du graveur Dupré avec ce beau profil d'une femme cheveux bouclés et coiffée du bonnet phrygien ainsi que le premier sceau officiel de la République.


Suite à la journée révolutionnaire du 10 aout qui entraine la déchéance de Louis XVI, la monarchie en France est abolie le 21 septembre 1792. A la place du portrait du roi qui personnalisait le pouvoir et l'Etat, une nouvelle effigie va s'imposer : celle de la République. Dès le 25 septembre, la nouvelle assemblée nationale, la Convention, décide par décret que " le sceau des Archives nationales serait changé et que ce changement serait étendu aux sceaux de tous les corps administratifs" et que la " France serait représentée par une femme vêtue à l'antique, debout tenant de la main droite une pique surmontée d'un bonnet phrygien ou bonnet de la Liberté, la gauche appuyée  sur un faisceau de licteur avec à ses pieds un gouvernail". La redécouverte de l'antiquité romaine est perceptible dans les arts et la philosophie de la fin du XVIIIe siècle. Sur le plan des représentations allégoriques les représentations de la France, de la France monarchique existaient bien avant Marianne sous la forme d'une femme casquée souvent très proche des représentations de Minerve. En 1792 nous assistons à la fusion de deux représentations bien distinctes auparavant celle de la France-Patrie et celle de la Liberté qui donneront l'image de la République. La Liberté étant naturellement l'une  des promesses et l'un des piliers de la France en République.


Parmi les plus anciennes représentations sculptées de Marianne que nous connaissons, la très belle statue de Joseph Chinard conservée au Musée du Louvre et le buste de Barthelemy-Francois Chardigny du musée d'Aix en Provence (à gauche). 



Avec l'avènement de l'Empire et le règne de Napoléon Marianne rentrera en clandestinité, associée à la terreur de 93 dont elle gardera longtemps les traces, la Marianne, Liberté révolutionnaire se fera plus discrète.

1848 - UNE REPUBLIQUE EN QUETE D'IMAGE

Après la chute de Louis Philippe le roi citoyen,  la République fait son retour en 1848. A cette période comme l'a très bien étudié l'historien Maurice Agulhon la République tentera de codifier les représentations de Marianne en lançant un concours pour : la représentation de la figure peinte et sculptée de la République. De nombreux artistes répondront à cet appel, mais comment représenter officiellement la République ? Avec quels attributs ?  Les représentations les plus hétéroclites de la République furent proposées avec le plus souvent une profusion de symboles qui rendait illisible l'ensemble. Niveaux, gouvernails, chaines brisées, coq, étoiles, épées, couronnes solaires, lauriers ...bref tous les accessoires possibles. Parmi eux le bonnet phrygien posait problème, il était jugé par certains comme étant trop révolutionnaire et rappelant les mauvais souvenirs de la Terreur .On lui préférait la couronne végétale de laurier ou composite dite à la Cérès plus consensuelle et plus sage. En peinture parmi les projets des artistes un seul restera un chef d'œuvre absolu : La République de d'Honoré Daumier conservée au Musée d'Orsay à Paris. Connu surtout pour ses caricatures Daumier est l'un des plus grands peintres du XIXe siècle. Son tableau représente la République torse nu allaitant ses enfants est d'une force inégalée dans ce concours ci- dessous à gauche, à cote duquel le projet de Jules Ziegler conservé au Musée de Lille fait pâle figure. Vu le niveau général, ce concours pour la figure peinte n'aboutira pas et ne fera l'objet d'aucune commande officielle. 



Pour la Sculpture c'est le sculpteur Jean-François Soitoux qui obtiendra le premier prix avec sa République laurée drapée à l'antique et qui sera commandée par l'Etat en 1848. Après moulte pérégrinations elle ne sera installée devant l'Institut à Paris qu'en 1880, elle s'y trouve encore. 


 
Mais c'est surtout en médaille qu'un modèle va perdurer et impacter pour de longues années le type de représentation de Marianne. Le choix du jury se portera sur le graveur médailleur Eugène Oudiné. 


La seconde République n'ayant duré que quatre ans jusqu'à la trahison de Louis Napoléon Bonaparte et le coup d'état du 2 décembre 1851, n'a pas eu le temps de fixer durablement l'image de Marianne, toutefois comme l'a clairement démontré Maurice Agulhon deux types de Mariannes verront le jour, l'une coiffée du bonnet phrygien des progressistes révolutionnaires qui est  en mouvement avec un sein nu, l'autre plus sage, antiquisante néoclassique coiffée d'une couronne végétale et vêtue de long. Cette typologie nous la retrouverons à la troisième République.  

Sous Napoléon III, Napoléon le petit comme le nommait Victor Hugo, Marianne va à nouveau entrer en clandestinité et les républicains avec ... Après la défaite de Sedan et la chute de l'Empire, la troisième République est proclamée sans réelle conviction en 1870, dans l'attente de mieux, par une majorité pas vraiment républicaine. Les représentations de Marianne promues sous la présidence de Thiers seront de sages Républiques avec couronnes végétales. Des Mariannes- Cérès très inspirées de la médaille d'Oudiné. 

La commune de Paris qui s'en suivit en 1871, et qui ne dura que quelques mois, produisit par contre une iconographie ou Marianne révolutionnaire est une Marianne rouge surtout diffusée par l'image.




Il faudra attendre les années 1875 qui marquent l'arrivée des Républicains au pouvoir après leur victoire aux élections, pour voir la diffusion massive de représentations de Marianne. 
C'est la troisième République qui assurera la propagande républicaine dans les villes et les villages. 

C'est à partir de cette période que seront diffusés les bustes dans les mairies, les écoles et autres services publics comme le buste de Francia ci-dessus en plâtre patiné bronze. En même temps dans nos 36000 communes seront diffusés dans un élan républicain tout un fatras de bibelots et d'objets, des "bondieuseries de la République" comme les appelle Pierre Bonte. La richesse de la production est phénoménale. Ces moulages étaient édités selon le prix en plâtre, terre cuite, bronze, régule ou fonte... Les procédés de réductions mécaniques comme celui de Colas permettaient aux éditeurs de produire les mêmes modèles de Marianne dans des formats différents. Nous sommes loin de l'idée de la pièce unique ! Au contraire le but était de diffuser auprès du plus grand nombre ces objets et de promouvoir le républicanisme naissant en France, créant par la même avec des traditions tout un folklore républicain souvent en compétition et en conflit avec l'Eglise catholique. La célébration du 14 juillet à partir de 1880 confortera ce projet de même la commémoration du centenaire de la Révolution de 89 donnera naissance à une "statuomanie marianolatre" avec les commandes de grands monuments à la République dans les villes et les villages. Ci-dessous la statue de la République de Peynot à Lyon et celle des frères Morice place de la République à Paris. 





Le XXe siècle fera appel à des star du moment pour incarner Marianne en commençant par notre Brigitte Bardot nationale avec un buste réalisé par Aslan artiste grand faiseur de pin-up ... Cette personnification quelquefois contestée donnera une nouvelle dimension au symbole républicain devenant plus folklorique que militant, ceci n'est pas sans lien avec la naissance dans les années 1920 des Mariannes de Paris qui préfigurent les Miss France. Vous pouvez voir une importante collection de Marianne à l'Assemblée nationale et au Sénat provenant de la collection du journaliste Pierre Bonte, elles constituent la plus importante collection publique sur ce thème.  

A lire principalement sur le sujet les ouvrages de l'historien Maurice Agulhon aux éditions Flammarion : Marianne au combat, l'imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880 , Marianne au pouvoir, l'imagerie et la symbolique républicaine de 1880 à 1914 et le Métamorphoses de Marianne.